Il compte parmi les véritables révélations de l’année 2015, celles qui explosent les compteurs. Mis en lumière par Lacrim et cumulant plusieurs millions de vues sur YouTube, son nom de scène tient en trois lettres : Sch. Un rappeur passé sous les radars jusqu’ici et sur qui il faut compter dès à présent. Car il vient réaffirmer la place du Sud de la France dans un jeu qui, en 2015, s’écrit décidément sans voyelle.
Souvent, Sch risque de vous être présenté comme marseillais, ce qu’il n’est pas. Le prochain rappeur des Bouches-du-Rhône à se faire connaître du grand public ne vient pas de la cité phocéenne, mais d’Aubagne, comme Marcel Pagnol. Aubagne est ce genre de ville où le temps paraît bien long quand on grandit. On n’y profite pas de la plénitude qu’offre un village de mille âmes et on ne croule pas sous l’offre d’activités d’une métropole de 800 000 habitants. Aubagne est un sale entre deux, un ventre mou. Les touristes y passent brièvement entre deux excursions dans l’arrière pays provençal, et les ados y tuent le temps comme ils peuvent avant de mourir d’ennui, à deux pas de Marseille, où tout se passe.
Non content d’être le premier rappeur issu de la bourgade productrice de santons de Provence à être sous les projecteurs nationaux, Sch se distingue par ses origines germaniques. Il se fait surnommer « N°19 » en référence à Mario Götze, nombreux sont ceux à l’avoir appelé « L’Allemand » et, pendant très longtemps, il rappait sous le nom de Schneider.
PREMIÈRE CARRIÈRE JUVÉNILE
On ne le connait que depuis assez peu de temps, pourtant, le garçon entame actuellement sa deuxième carrière. Les traces laissées par la première sont minimes, pour ne pas dire inexistantes, au delà du 13400. Même l’Internet, pourtant prompt à enregistrer tout ce que le rap français le plus obscur a produit, n’est pas en mesure de régurgiter les premiers projets de Schneider. Il commence pourtant le rap en 2006 et sort vite son premier album, Les moyens du bord. Il a à peine quinze ans. C’est un projet gratuit, comme le maxi suivant, Revendiquer ma zone. Ils sont alors à télécharger via Megaupload, depuis… son Skyblog. Déjà une autre époque. Sur le blog en question, Schneider s’affiche coiffé d’une coupe au gel digne des pires publicités Vivelle Dop fixation béton, affublé de faux diam’s brillants à chaque oreille et un regard énervé.
Parmi les quelques vestiges de ce temps pourtant pas si lointain, on trouve les fondations d’un univers musical qu’il n’a pas lâché depuis. Un rap de rue très sombre où se côtoient vodka bon marché, ennui, violence, pensées morbides et angoisses infernales. Et puis il y a cet accent, cette voix. Quelque part entre Marseille et Berlin, Schneider pose dès ses premières années au micro une identité vocale qui fera de lui une tête d’affiche demain. « Chez moi c’est le Sud on dit schmidt pas keuf. » Un Sud qui n’est pas spécialement palpable à l’écoute de ce que fait le rappeur. Sa musique n’a rien d’ensoleillée, au contraire, on se croit plus sur les côtes de la mer du Nord que sur celles de la Méditerranée.
Surtout, ce qui ressort à l’écoute des morceaux les plus anciens de Sch, c’est l’ennui. À cet égard, la distinction entre Aubagne et Marseille prend toute son importance. « Issu d’un village où les jeunes ont de la haine à revendre / où les trois quart tentent leur chance en espérant qu’elle se cambre. » Des jeunes posés à rien faire, à boire parfois, à essayer de faire rentrer quelques euros, à rigoler et à attendre. Mais attendre quoi au juste ? Peut-être un succès qu’on n’ose pourtant pas espérer. « J’suis né pour percer dans la zik et j’ai peur de clamser dans l’attente. » Plus que du désarroi, c’est une forme de lucidité. En 2010, dans un freestyle posté sur Facebook, Sch se montre même pessimiste : « Dis pas que j’vais percer, c’est la disquette des com’, ça m’étonnerait que ça arrive. » Pour faire court, il n’y croit pas. Il n’y a rien ou presque à Aubagne pour qu’un jeune rappeur émerge.
Alors que l’équipe de Teuchiland, qui s’est fait une spécialité de parcourir les cités françaises pour mettre chacune d’elle en lumière, fait étape dans les Bouches-du-Rhône, elle part dans le centre ville d’Aubagne, à la rencontre de Schneider. Face caméra, un brin intimidé (à partir de 34′), il explique alors, à deux pas du Pôle emploi, qu’il y a beaucoup de talents dans sa ville mais pas de structure pour les développer. « Ici on est bien, on est au soleil et tout, mais il n’y a rien pour les jeunes qui font du rap. » Certes, il y a une MJC, « mais bon on fait plus ça en under ». Quoi que cela veuille dire, ni Schneider, ni aucun rappeur de sa ville ne semble alors rêver mieux qu’une reconnaissance locale.
LA RENAISSANCE
À ce moment précis, rien ne prédestine l’adolescent de seize ans qu’il est aux millions de vues aujourd’hui accumulées. Sur Facebook, il partage plus la musique des autres que la sienne. Ainsi le voit on saluer le travail de Bolo, de Green Money ou encore de Booba, surtout époque Temps Mort, ce qui n’a rien d’étonnant au vu de ses ambiances. Mais parmi tous les rappeurs français, il y en a un que le jeune Schneider semble respecter plus que tout, c’est Zekwe Ramos. Aussi écrit-il à son propos qu’il est « bien plus qu’une influence », sur une page Facebook inondée de punchlines et de clips du rappeur. Ce n’est que l’an dernier que le jeune Aubagnais opère sa mue, de Schneider à Sch, de Barrika’d Productions à Braabus Music, il élargit son public. Débute alors la seconde carrière du rappeur, qui en l’espace d’une grosse année, sort largement des frontières du 13 pour résonner à travers tout l’hexagone.
En mai 2014 s’opère un grand tri par le vide. Sch annonce la suppression de sa page YouTube, comme pour mettre fin à sa première carrière, et écrit au peu de personnes le suivant alors : « Les choses bougent pour moi et mes khos, on est sur de gros bails, procurez vous mes sons sur youtube, avant la suppression définitive du compte. » Pour partir sur de bonnes bases et se faire connaitre à l’échelle nationale, Sch emploie la bonne vieille méthode du remix et s’attelle à reprendre deux gros tubes de l’année 2014. D’abord, « La Belle vie » d’Alonzo, qu’il se réapproprie avec Bayssou, autre signature du label Braabus Music. « On a les yeux couleur funéraire », Sch annonce la couleur au pays, elle est noire. Déjà, il fait complètement oublier la prestation de son featuring. Un peu plus tard, c’est au morceau de Lacrim et Lil Durk, « On fait pas ça », qu’il s’en prend. Le sudiste enfonce le clou, il faudra compter sur lui. Son monde est définitivement obscur, crade et violent. «Un ange en enfer, j’suis sapé tout noir. » On le filme en contre-plongée, long manteau noir sur les épaules, pull et pantalon tout aussi sombres. Autour de lui, une cité endormie, un ciel automnal et une fumée blanche. Comme pour annoncer le nouveau Pape. Après tout ne clame t-il pas être « le diable avec une auréole » ?
C’est par cette noirceur que « le S » se démarque. On a parfois l’impression d’être face à un adolescent gothique, mais en chemise Burberry. L’enfance en filigrane. Quand il rappe « on a grandi dans un garage à niveau », on se demande presque si la figure de style est vraiment de la réalité. Sch navigue entre l’envie d’afficher un succès naissant et l’envie de mettre fin à toute souffrance, quitte à se détruire. « On part du néant, s’dirigeant vers le brasier, les flammes. » Un univers lexical qui oscille entre des lignes morbides, et d’autres plus vulgaires, voire violentes, homophobes et misogynes. « J’gratte dans le noir mes sujets trash, gores, post-mortem », écrit-il en 2011, quelque temps avant de sortir « Froid », un sommet à ce jour.
Dans un décor des plus tristes, gris et inanimé, Sch pose sur une instru aux allures d’original soundtrack de l’angoisse. Suicidaire dès la première ligne – « sans moi le jour se lèvera quand même » -, il déballe tout son désenchantement durant deux minutes, sans trouver de refrain à sa haine. « Sur le chantier de ma vie, entasse mes péchés sur la brouette », dit-il assis sur des parpaings, entouré de bouteilles de Cristalline remplies de vodka Redbull. Capuche sur le crâne, Sch le dit à demi-mot, la tise l’inspire : « On peut faire du lourd s’ils filent le mille millilitres slave. »
LE SCHAUD ET LE FROID
L’artiste aime jouer sur les contrastes, lui le rappeur du Sud au style si froid. « Même en temps d’canicule j’te fais ressentir la froideur de mes vers. » Il affectionne les images fortes, riches en assonances presque des oxymores, « Un cheveux d’ange sur la langue mais rien de sa blancheur dans le zen’ », « J’suis Hiroshima dans le périple à Chihiro ». Un cactus de Sibérie qui aurait poussé dans la pampa de Provence.
Dans les clips parfois kitsch de « La Malette », « Massimo » ou « Paye moi ma drogue », on le retrouve dans des mises en scène classiques de rappeur français fantasmant sur les films de voyous. La lumière est très forte, le grain pique les yeux, donnant au tout les allures rococo d’un vulgaire filtre Instagram . A contrario, d’autres vidéos sont marquées par la noirceur, comme « Millions », « Titvs » ou « John Lennon ». Parfois, il peut faire penser à Lacrim, qui l’a d’ailleurs invité à deux reprises sur sa dernière mixtape, Ripro vol.1 , mais pas que. Il y a toujours cette obscurité qui le distingue et qui fait de lui un des jeunes rappeurs les plus intéressants du moment, lui qui surnomme son flingue « Titus » et se voit croquer le monde comme Gulliver.
Un vingtenaire avec pour seul but affiché celui de « quitter l’hexagone, fric plein les valises ». Une devise qu’il décline à tous bout de champs sur ces morceaux et dont on espère qu’elle lui portera chance. À ce jour, Sch partage son temps entre les Bouches-du-Rhône et Paris, où il passe de longues journées en studio, préparant la sortie de sa mixtape A7 pour l’automne. Et tout laisse à penser que ce n’est pas du temps perdu. L’Allemand, provocateur, a prévenu : « J’vais faire trembler le monde comme la Wehrmacht ! »
Un grand merci à l’illustratrice JLFQD pour son superbe croquis.