Mouvement « Occupy Wall Street », chroniques de David Abiker sur le monde de l’open space, documentaires sur les illuminatis de Goldman Sachs, … Il faut reconnaître que ces satanées crises en série ont focalisé l’attention du peuple sur les cols blancs tirés à quatre épingles. Ces hommes de l’ombre en costume ont catalysés les frustrations et les rancoeurs de l’opinion mondiale, en grande partie liée aux agissements insensés d’une poignée d’entre eux. Une caste conspuée mais, c’est souvent le cas, également fantasmée. Une fascination naturellement captée par l’univers de l’Entertainment : ce n’est pas par simple croyance citoyenne si Oliver Stone a réalisé une médiocre suite à son « Wall Street » 23 ans après le premier volet, ou si David Cronenberg y est allé de son « Cosmopolis ». Les showrunners d’Hollywood ont logiquement suivi le rythme et nous collent tous ces mâles alpha à gogo dans leurs séries TV. Je parle bien entendu des pères spirituels Don Draper et Ari Gold, deux anti-héros à l’aura indéniable, même si le second a été caricaturé en machine à punchlines tournée au ridicule. Deux personnages rapidement suivis d’une progéniture en costards-cravates qui marchent sur leurs traces. A commencer par Harvey Specter et Marty Kaan, respectivement les têtes d’affiche de « Suits » et « House of Lies ».
Ces deux séries constituent un cas d’étude assez pratique : chacune est actuellement en cours de diffusion sur des chaînes payantes concurrentes – USA pour Suits et Showtime pour House of Lies -, et affichent deux saisons au compteur. Si ces shows diffèrent sur le ton, House of Lies tend vers la comédie et Suits penche vers le drama, leurs personnages principaux reprennent des caractéristiques similaires, clichés liés à leur profession haut de gamme. D’un côté Harvey Specter ( aka Gabriel Macht), l’avocat associé d’un cabinet new-yorkais réservé aux diplômés d’Harvard; de l’autre Marty Kaan (incarné par le génial Don Cheadle et couronné d’un Golden Globe), consultant en finance et management.
Il m’en fallait pas plus pour tenter de départager ces deux pimps blackberrysés en trois manches.
Suit & Tie
C’est bien connu, dans les métiers de représentation, le fond passe par la forme. A ce niveau, on assiste à un défilé de chemises écarlates, de costumes cintrés mais sûrement pas des coupes skinny pour plumeaux, complétés par les noeuds de cravate les plus bigs possible. Ici, Marty se défend particulièrement bien : ses tenues de boulot sont réalisées chez un tailleur de la Grosse Pomme, complétés par des cravates Tom Ford ou Lanvin, sans oublier des pochettes Hermes. Ambiance « Tom Ford tuxedos for no reason », pour citer Jay-Z.
Sauf qu’en la matière, Harvey Specter est juste imbattable, au point que son style s’est imposé comme l’un des piliers de la série. Souvenez-vous du début de la saison un, lorsqu’il emmène son jeune padawan Mike s’acheter un 3 pièces digne de ce nom. Un véritable rite initiatique. On ne compte plus les articles « How to wear like Harvey » sur les Internets (ici, ici ou encore là), plus les publications sur les pages Facebook de la série. Un culte sapologique qui a donné naissance à une collaboration avec le distributeur Mr Porter : une collection spéciale « Suits » et une app iPhone sponsorisée par la série. Don Draper est ringardisé, Barney Stinson complètement déclassé …
AVANTAGE : Harvey Specter
Des kilos de punchlines
Ici, on joue aussi dans la cour des grands, à se demander si les mecs sont rémunérés selon leur répartie. Harvey Specter s’appuie sur des citations viriles de winner, type « excuses don’t win championships », voire « I’m against emotions, not using them ».Dans ce lot de quotes lifestyle, je retiens son plus fameux « Life is this … I Like This ». Point barre.
Le game de Marty Kaan, quant à lui, se veut nettement plus hip-hop. Les vulgarités fusent, l’agression est plus directe, l’egotrip nettement plus marqué. Alerte explicit lyrics. On passe d’un « I need to drink. Oh, correction : I need to drunk. » avant une bonne beuverie afterwork, à un « I’m the goddamn sun » solennel. Brillant. Ses multiples apartés pour commenter et tourner au ridicule ses interlocuteurs fonctionnent à merveille. Surtout, il s’affirme comme le maître de l’usage du « motherfucker » des familles, absolument à toutes les sauces. Imparable.
AVANTAGE : Marty Kaan
Work Before hoes
Le culte du travail, une autre valeur commune aux deux héros. Les deux ont atteint des positions puissantes dans leur organigramme à force de sueur et de diplômes et font tout pour la préserver, by any mean necessary. Chacun combat d’ailleurs sa hiérarchie dans le but de protéger son territoire : Harvey face au peu scrupuleux Daniel Hardman, Marty face à quasiment tous ses boss, de Harrison « Skip » Galweather a cet obsédé de « Rainmaker ». Ils n’hésitent pas non plus à recourir aux tactiques les plus borderlines pour remporter leurs affaires ou gonfler la facture d’un client. Que retenir de cette allégorie gentiment dénonciatrice des sociétés ultra-capitalistes ? Le boulot c’est la jungle, et seule la victoire est belle, qu’importe la manière.
Mais nous, ça on s’en fout un peu, on essaie juste de savoir lequel serait le plus bosseur. J’ai commencé par vérifier les comptes Linkedin : Harvard pour Harvey, Columbia pour Marty. Egalité. Par contre, l’avocat se rend au taff à 8 heures pile du mat’ et rentre seul la nuit dans son appartement gigantesque, pendant que le consultant se la colle plus qu’il ne rend de slides powerpoint. Clairement, Marty passe plus de temps à se taper son ex-femme ou des groupies dans les chambres d’hôtel que derrière un bureau, et pourrait même bientôt se taper sa collègue. Harvey, lui, ne mate même pas la splendide Rachel Zane ni sa secrétaire Donna. Un tueur. He wins.
AVANTAGE : Harvey Specter
Verdict
Harvey Specter l’emporte d’une courte tête 2 à 1. Mais qu’importe, les deux séries méritent d’être regardées. Attention, aucune ne tend vers le réalisme, les deux se contentent souvent de jouer avec les codes du milieu professionnel en entreprise. Si Suits ressemble un poil à un Mad Men moderne, alimenté par un scénario un peu plus dynamique et un style moins nombriliste, House of Lies tape plus dans la satire délirante, mais parfois pas si éloignée du monde réel. Par contre, pas sûr que ces show feront réfléchir sur les dérives assumées des personnages principaux. Souvenez-vous : « Wall Street » avait abreuvé une génération de futurs Gordon Gekko, aussi carriéristes qu’individualistes. On a vu le résultat.