Octobre 2012. Arnaud Montebourg, ce sacré Ministre du Redressement Collectif, pose fièrement en couv’ du Parisien Magazine, en marinière et mixeur Moulinex. L’année qui suit, c’est la déferlante : Pigalle, FUCKINGOOD, Quatre Cent Quinze, ou encore Paris Nord et Happy Wave, des dizaines de marques vont alors élever le Made in France au rang de combat national. Qu’il soit nostalgique, ironique ou branché, le cocorico version streetwear se vend et s’exporte désormais avec un succès retentissant.
Qui aurait parié il y a une dizaine d’années que les fashionistas troqueraient leur casquette Royal Wear pour un tee-shirt Pigalle,des imprimés citations de Baudelaire ou tableaux de Monet ? La tendance est pourtant là et ne semble décidée à se calmer. Un simple Tumblr symbolise cet envol : Fuck Yeah Jacques Chirac, lancé en 2011 et regroupant les meilleurs clichés vintage de l’ex-président, réinventé en gangster suave. Chichi devient alors l’icône des hipsters nostalgiques, son image se décline sur tous les supports. Tu le sais, ça cartonne : les t-shirts s’écoulent comme des petits pains, deviennent un must-have et relancent, près de 15 ans après l’âge d’or de la French Touch, la célèbre et si délicieusement chauvine « Touche Française ». Tour d’horizon.
Des dizaine de jeunes marques vont alors reprendre le concept, en élargissant ses sujets d’inspiration et en s’attaquant aux autres personnalités de notre douce France. De René Coty au Général de Gaulle en passant par Valéry Giscard d’Estaing, Gainsbourg ou le commandant Cousteau, les tees et sweats détournent photos d’archives en punchlines bien pensées (Ex : Who’s the BOSS par Qhuit). Certains vont même aujourd’hui piocher leur inspiration chez les peintres, comme les petits derniers de la marque FUCKINGOOD. Là encore, l’idée est la même : on prend un tableau (classique, please), des graphismes modernes, on mélange, et on obtient un t-shirt pile dans l’air du temps.
Non contents d’étancher la soif des aficionados de sarcasme franchouillard imprimé sur coton épais, les créateurs s’attardent également à véhiculer l’image d’une France éducative. En témoigne Paul Coffinières, l’un des créateurs de la marque Quatre Cent Quinze, à l’origine d’une collection de vêtements sur les poètes maudits à la sauce gangsta rap. Pour lui, ce type de vêtements permettrait aux jeunes d’identifier les poètes à autre chose qu’un simple un programme scolaire. Vous avez dit Bac L pour tous ?
En plein revival du « french bashing », le succès du streetwear FR va ensuite progressivement s’imposer outre-Atlantique. Merci qui ? Merci Jay-Z et Kanye. En deux tubes, Niggas In Paris et Clique, les rappeurs US vont réussir à faire de la France la nouvelle capitale qui compte. Les clips se tournent à Paris, à l’instar des vidéos de Rick Ross et…d’A$AP Rocky, à qui l’on peut même donner la couronne d’empereur du streetwear Made In France.
Replay : il y a quelques années, l’icône mode à temps plein s’affiche partout en sweat et tee-shirt Pigalle. Résultat : la marque cartonne, les produits s’arrachent et atterrissent même sur le dos de Rihanna. Rien que ça. Les mecs de Quatre Cent Quinze réussissent de leur côté à attirer l’attention d’une autre grosse pointure du rap game kainri, le bien nommé P. Diddy, qui s’affiche avec leur «Wine & Poems» sur la toile. De son côté, Defend Paris séduit elle aussi les plus grands noms de la scène US, puisque Rihanna, encore elle, Chris Brown, Steve Aoki ou même Madonna vont craquer pour La marque à la kalash. Marque de streetwear militante et engagée à l’internationale (Defend Children’s Rights et Defend Human Rights), elle vise loin, comme son logo l’indique. Autant de labels qui ont foncé dans le sillon creusé par Hype Means Nothing, dont les tee-shirts qui associaient célébrités + modèles de lunettes avec les doigts ont terrorisé le monde entier à l’horizon 2010. Un bastonnage en règle, qui a carrément donné naissance à une Fiat 500 exclusive, reprenant les motifs des tee. Dingue.
Rapidement, le Made in France devient légion sur toute la planète. N’en déplaise aux puristes des rimes en ricaine, pour le style, il faudra désormais penser bleu blanc rouge. La marque parisienne BWGH (Brooklyn We Go Hard), créée en 2011 par deux amis d’enfance (David Obadia et Nelson Hassan), fait le pari de s’implanter à l’étranger en affirmant au maximum son identité française, à l’image d’une de ces pièces emblématiques, le sweatshirt « Brooklyn Parle Français ». Ce pull, qui a depuis fait l’objet de nombreuses collaborations (Opening Ceremony, Colette…), va permettre à la marque de se développer à l’international. Avec BWGH, Brooklyn, célèbre arrondissement de la ville de New York et considéré comme un épicentre culturel mondial, se met à l’heure française. Ce slogan est finalement assez révélateur de la volonté de ses créateurs : s’inspirer de la mouvance américaine, tout en restant français.
« Qu’en est-il de Paris, une des capitales mondiale de la mode ? »
Retour à Paris, la ville la plus visitée au monde. Paris, son identité si forte, si singulière, héritée de décennies d’histoire urbaine. Au delà de la France, c’est Paris qui va progressivement devenir l’épicentre de la création des marques, de plus en plus nombreuses. Leur défi ? Redonner le goût du Paris authentique, en exposant le Paris de ceux qui l’animent. Pour cela, rien de tel qu’ un voyage dans ses quartiers. Ainsi, la marque Paris Nord met en scène avec une auto-dérision non feinte le nord de la capitale, comme en témoignent les capsules Fuckin Tourist et Sex Marcel, en réponse à une Rive Gauche trop chic, trop bourgeoise et surtout trop sérieuse. Les créateurs lâcheraient même en off essayer de mettre la beaufitude à la mode.
La marque Happywave choisi le quartier du Sacré-Coeur et les mythiques années 20, Pavé On The Ground va elle créer l’alliance « ter ter » à l’élégance épurée de ses pièces, se remémorant tantôt l’ambiance des Halles, tantôt celle de Crimée. Une dualité qui est également la source d’inspiration première de la marque Rive Gauche Rive Droite.
Une dernière donnée va venir changer la donne et crédibiliser le streetwear français une bonne fois pour toute. En partant de l’idée d’appartenance forte à un territoire, les créateurs vont avoir la bonne idée de mettre en avant via leurs collections « Made in France » un must de son territoire : le fameux savoir-faire français. Parmi elles, Bleu de Paname, qui en 5 ans s’est imposée par la justesse de son propos et l’efficace sobriété de sa proposition : un vêtement de travailleur « updaté » pour accompagner le quotidien d’une nouvelle génération d’urbains, aux talents et modes de vie multiples. Fédérés par le Bleu d’une « maison de confiance », les dudes Lépine et Giorgetti souhaitent revisiter les tissus oubliés du vêtement de travail, avec les mythiques Le Laboureur et Vetra en références. Les fondateurs de Bleu De Paname s’associent alors avec des vétérans des ateliers textiles français, leur assurant des confections de meilleure qualité. Et alors ? 10 collections, et une offre complète incluant pantalons, chemises, sweatshirts, vestes, blousons et parkas, tous garants de l’efficace sobriété de la marque. Simple as that.
« On pense souvent et à tort que le « street casual smart » destiné au connaisseurs mais cela est faux. »
Au fil du temps, le streetwear made in France va donc évoluer de l’urbanisme pur vers une aspiration plus smart, casual, accessible à tous et surtout globalisante. De nouvelles marques sont crées tous les mois : Three Animals inspirée de la pensée de Lao Tseu et leurs pièces 100% non chimique, Clément Taverniti (ancien Dries Van Noten) fonde Still Good… et les anciennes réagissent : Poyz&Pirlz délaisse aujourd’hui quelque peu sa hip-hop side pour des chemises Oxford plutôt 16ème arrondissement.
Les accessoiristes reprennent la formule magique, Bleu de Chauffe en tête de file : dans la ligné de l’esprit workwear et de l’univers industriel du 20ème siècle, les sacs Bleu de Chauffe réinventent les codes des sacs de métier. Simples et pratiques, il sont désormais aussi écolo (ndlr : en cuir tanné végétal) et réalisés de manière traditionnelle par des artisans expérimentés. Même son de cloche pour les casquettes Larose, construites sur la base d’une casquette « cinq pans », réalisées à partir de matériaux nobles par des ouvrières expertes d’une usine spécialisée du sud de la France, et traitées avec le même soin qu’un chapeau haut de gamme.
C’est ce savoir faire qui va permettre une évolution de la clientèle et de changer le visage du streetwear : il n’est plus seulement associé à un style de vie ou une catégorie sociale, touche désormais des tranches d’âges plus âgées et se destine à toutes les classes sociales. Terminé les petits stands sur les marchés, le streetwear investit désormais les boutiques haut de gamme des plus grandes capitales du monde. Paradoxalement, cette évolution a irrémédiablement changé les codes purs du streetwear, style bon marché innové par les rappeurs noirs américain. S’habiller en streetwear made in France a aujourd’hui un prix, et l’addition est souvent salée.
Le streetwear est mort, vive le streetwear ?
Article réalisé en collaboration avec Vincent Tonnerre