On y est les copains. Les feuilles jaunissent ou brunissent, les températures se rafraîchissent, l’inclinaison du soleil diminue et les couches de vêtements s’épaississent. Une question demeure : est-ce qu’à l’automne l’amour s’en va avec les hirondelles migrer vers des climats plus chauds ? Ça tombe bien, The Healing Component de Mick Jenkins arrive au bon moment pour répondre à la question.
Anciennement surnommé Mickalas Cage, Mick Jenkins a gagné en notoriété depuis 2012 grâce à des essais digitaux qui ont fait leur chemin jusqu’aux oreilles de la presse web spécialisée, certes de manière moins spectaculaire que Chance the Rapper, mais suffisamment pour nous inviter à la découvrir puis le conseiller à notre tour. Beaucoup d’entre vous ont pu se pencher sur son cas avec sa brillante mixtape The Water[S] puis dans un style relativement différent l’EP Wave[S]. Son intellect, son aura, sa voix, ses métaphores, ses goûts musicaux forment un puzzle complexe tout à fait fascinant et unique. Conclusion de ce parcours de quatre ans en totale indépendance, Mick Jenkins rejoint Joey Badass, Smoke DZA et Big K.R.I.T. chez Cinematic Music Group, afin de livrer ce premier effort solo très attendu.
Après le parfum d’été indien de The Divine Feminine d’un Mac Miller qui comptait les pétales de pâquerettes pour savoir si Ariana Grande l’aime un peu, beaucoup ou passionnément, l’ami Jenkins revêt quant à lui sa blouse de docteur et prend le relais du Macadelic avec The Healing Component. Autant l’avouer, le natif de Chicago voit les choses un peu plus loin et sous un angle plus spirituel et réfléchi que le blondinet de Pittsburgh. Il aborde le cinquième élément sous sa forme la plus universelle qui soit à travers cet album véritablement conceptuel, ne se limitant pas qu’au traditionnel angle cupidonien. Et en ces périodes de violences et de troubles partout dans le monde, cet album fait office de piqûre de rappel. Jouant d’allégories et de psychologie, il tisse cette toile immatérielle entre les êtres humains avec ce message qu’il répète régulièrement dans ses morceaux : « Spread love. » L’amour, ce remède parfois mystique et pluriel, cette solution divine pour résoudre les problèmes… Mick Jenkins ne fait pas que dévoiler ses pensées à travers ses lyrics, il devient le patient en se confrontant aux questions d’une femme dans divers intermèdes à travers une vraie fausse interview en guise de fil conducteur.
Pour faire passer le message sans forcer, Mick Jenkins possède cette voix grave et pénétrante, oscillant entre un Rock des Heltah Skeltah et Tyler, the Creator. Une de ces voix qui vient inoculer ses couplets à même le cerveau, le genre que l’on écoute religieusement. Un décorum qui sied parfaitement au caractère expérimental de The Healing Component. Ton vendeur Fnac favori parlerait sans doute d’une hybridation entre électro-jazz, soul et hip-hop progressif. On évoquera ici plutôt le caractère forcément touche à tout du rap en 2016. Et en parlant de jazz, les galopins de BadBadNotGood lui servent un instrumental acoustique sur mesure pour « Drownin » brûlot incendiaire autour de la problématique « Black Lives Matter » au traitement sobre et raffiné. Ses collaborateurs (Sango, Them People…) lui permettent de s’étendre au-delà d’autres frontières musicales, un pied dans le glitch-hop avec « Prosperity » et le nocturne « Strange Love », l’autre dans la house du canadien Kaytranada (« Communicate »), sans parler de l’ambiance lounge de « Angles » (avec la participation de notre chouchoute la rappeuse Noname). Il y a quelque chose dans tous ces instrumentaux qui rend accro, comme ces substances psychotropes dont Mick fait souvent allusion dans ses paroles.
« J’aimerai inspirer les gens à faire quelque chose de leurs émotions. À être plus généreux et aimant », déclarait récemment Mick Jenkins aux caméra de RedBull. Avec sa tournée mondiale, intitulée « A quest for Love », on comprend le rôle qu’investit le rappeur : devenir un héraut au sens noble du terme. Endossant la tenue de poète à l’instar des troubadours médiévaux propageant la bonne parole, Jenkins y gagne là des galons d’artiste chevronné, se démarquant du reste du game en appliquant finalement ce credo vieux comme le monde : aimer les autres nous rend meilleurs. Lancé bille en tête dans cette quête sacrée, le rappeur a décidé de rester concentré. « Je ne voulais pas de gros noms sur l’album qui aurait pu distraire l’attention des auditeurs sur ma vraie mission. » Mick Jenkins peut être en tout cas rassuré, son art culmine dans son dernier album, parachevant son virage amorcé avec The Water[S]. Du chant maîtrisé – peut-être un peu trop présent – des beats aux ambiances éthérées mais addictives, et surtout une colonne vertébrale qui soutient sur un thème sans digression , là où beaucoup de ses compères comblent le vide par le vide.
The Healing Component est une thèse poétique en quinze chapitres écrite par un homme redoutablement intelligent et mélomane. En invoquant aussi bien la spiritualité, le besoin de self esteem, que l’addiction et le manque, en comparant l’amour à une drogue douce (The Healing Composent résumé à l’acronyme THC dans le morceau ouvrant l’album), Mick Jenkins réussit une oeuvre totale. Celle d’un artiste d’une espèce rare, de celle qui nourrit les esprits et les influences. Raison de plus pour écouter ce qu’il a à nous dire et appliquer son message, surtout par temps obscurs. Merci Dr Jenkins.
Mick Jenkins sera en concert à Lyon le 27 octobre avec Panthers et à Paris le 29 octobre avec Free Your Funk.