Allez, vous vous accorderez bien un peu de rab de soleil ? Imaginez. Vous êtes sur une plage d’Andalousie, affalé sur une serviette. Près de vous, des enfants s’ébrouent dans l’océan. Il est trop tôt pour feuilleter le dernier livre de Virginie Despentes, ou celui de Sabri Louatah. Vous n’aimez pas les quizz ni les sudokus. Et vous avez bien mieux à faire : écouter NQNT2 le nouvel album de Vald. Road-trip/chronique en compagnie du poto Sullyvan.
Mardi
Dans l’avion qui m’emporte en Andalousie, je me dis en déballant l’enveloppe promo envoyée par Barclay, qu’écouter un album de Vald en vacances c’est un peu comme essayer de trouver un sens à sa vie pendant une redescente de trip dans une teuf gabber en Allemagne. Ce même sens à la vie qu’on avait essayé de mettre au clair à l’occasion de notre interview avec le blondinet, il y a quelques mois. Ni Queue Ni Tête 2, donc, me dit le titre. On ne pourra pas vraiment sur ce point l’accuser de tricher sur la marchandise, tant le début de carrière du jeune MC applique ce crédo avec la fidélité d’un militant PS s’accrochant aux idées de Jaurès. À travers le hublot, les paysages me font l’effet de miniatures ratées. Je m’endors en lisant le texte de présentation de l’album.
Jeudi
À peine arrivés à Cadix, on trouve le chemin de la plage. Pendant que mon pote s’active à reproduire une réplique en sable de La Sagrada Familia, j’enclenche le premier titre : « Retour ». La prod est classique, le flow habile, entame parfaite pour un album, je commence à hocher la tête. Ca me donne au mieux l’air d’un autiste à la plage, au pire celui d’un sociopathe un peu trop concentré. « J’reviens comme Schumi sur les chapeaux de roue sur les Champs ». On est prévenus, l’album sera celui d’un grand brûlé qui n’en a pas grand chose à foutre, qui « sourit comme Ray Charles » en voyant que « la moitié de ses cachets partent pour l’Etat ». Tiens, une voix s’invite en clôture du morceau. « J’accepte ma domination avec calme », balance Houellebecq sur un plateau de télé. Ca change de Scarface. Malin ce Sullyvan, on le voit venir avec ses faux airs de ne pas y toucher. Enfoncer la concurrence dans le temps qui lui est imparti. Se comparer à un écrivain français plutôt qu’à Eminem. A s’affranchir des règles, on se demande presque ce que fout Vald dans le rap français, comme une sirène échouée sur un terrain de beach-volley. Du coup, imaginer des sirènes me file la dalle. Au marché, on essaye de me vendre un poisson. Dans mon espagnol approximatif j’essaye de faire comprendre que je voudrais une dorade. Je repars avec des maquereaux et un poulpe qui n’a, lui aussi, ni queue ni tête. Ca m’évoque l’obsession de V.A pour les reptiliens. De retour dans notre appart Airbnb, j’écoute à nouveau le morceau caché « Poisson ». « Je suis un poisson qui aime les algues ». Pause. Les reptiles, les poissons, les écailles… Soudain, un flash astral : Vald serait-il un poisson insaisissable, ascendant anguille ? Pendant ce temps les maquereaux cuisent, et le soleil se couche sur les rues de Cadix.
Samedi
Mal de tête carabiné dû aux mojitos surdosés de la veille avec vue sur l’océan. Un café serré et un Efferalgan me remettent sur pieds, je replonge dans l’univers de V.A. Un quotidien à la dérive mais pas trop, des réflexions à demi esquissées sur la nature humaine. Un rap bien peigné avec juste ce qu’il faut de freaky. Des assonances à n’en plus finir et des titres de morceaux brumeux sur des prods alternant clins d’oeil au trap et boom-bap efficace. On attend tout de même ce moment où la machine se gripperait, où la plume prendrait un peu de la hauteur. Le reptile n’aurait-t-il pas fini sa mue ? Et puis on comprend que Vald a un plan. Comme s’il s’était arrété à mi-chemin, clope au bec et RayBan sur le pif pour se retourner et observer le chemin parcouru. Profiter de ce qu’il lui reste à gravir. « J’m’en bats les couilles, j’ai d’autres cartes sous le coude » glisse-t-il goguenard, comme un indice semé parmi d’autres. Par un procédé d’identification assez soutenu, je décide avec professionnalisme de m’en battre les couilles moi aussi. Retour à la case bronzage.
Lundi
On change de ville et de rythme. Barbate, petit port de pêcheurs proche de Trafalgar. Des calamars oklm. Les lines de Vald commencent à m’accompagner. Au rythme des barrettes éfritées « moitié Get 27, moitié Sobieski » je croise dans le vestiaire de cet album BHL, Mimie Mathy et Laure Manaudou qui aurait des écailles. Décidément. Association d’idées, je cours piquer une tête dans les vagues, noie un enfant qui joue trop près de moi et retourne écouter « Infanticide », l’un des meilleurs titres de l’album. « Le Père Noël vend de la dope et fait rarement de cadeaux ». Chez Vald on a affaire à un monde qui a fait de ses enfants des êtres qui n’ont pas grand chose à perdre. Et qui le savent dès la naissance. « La vie c’est un coup de ceinture sur des fesses blêmes qui simulent ». Les règles, les jeux, les importances ne valent que dans leur coin de rue. « T’es de la merde, frelot tu n’es rien / seule ta mère pleurera ton destin », ou encore « ce soir des parents se quittent et y aura pas de départ au ski » dans l’excellent « Ogre ». Si il y a du drame, on peut en rire, avec du recul. Affaire de survie, le rire chez Vald et sa clique.
Mercredi
En avalant mon gaspacho, j’interroge mon pote. Sans vision sociale, le rap ne serait-il rien d’autre qu’une soupe froide ? Il répond qu’on aurait mieux fait de prendre des tapas. Je m’acharne : il y a du social chez Vald, forcément, on en a besoin quand on écoute un album de rap. Ca pullule de références au monde qui l’entoure. On l’imagine bien en train de vanner des facebookeuses à duckface dans « Nichon », ou observer ces mondes qui se côtoient sans se parler dans « Urbanisme ». Et puis, les tracks « Bonjour » et « Selfie », déguisés en singles-mégahits qui cachent la forêt. Tiens, il parait que les selfies ont fait plus de morts cette année que les attaques de requins, me glisse mon pote en s’étouffant à moitié avec ses churros. Les requins? Les écailles. Les reptiliens. Tu vois on y revient. Mon pote me fait remarquer que je deviens lourd et s’en va draguer des chicas alors que la télé du bar crache les images du match France-Espagne. Je me surprends à trouver des rimes multisyllabiques avec les noms de Gasol et Gelabale. Avec lucidité, je concède à mon pote qu’il faut peut-être que j’arrête d’écouter l’album un moment.
Dimanche
Fin de parcours. On échoue à Tarifa. La ville du vent, nous prévient le guide du queutard routard. A voir les surfeurs pavaner dans leurs vans VW, cheveux blonds au vent, je sens poindre mon courroux. Le vent appelle le vide, le vide m’évoque le rap. Depuis qu’en France, il a perdu une de ses couilles sur les fils barbelés des ondes FM et qu’il consolide son plan de carrière sur Canal +, on se demande bien où il trouvera encore un soupçon d’impertinence. « J’vous chie dessus et j’vous le dis en face » nous rassure d’emblée Sullyvan. On prend ça comme un avertissement : pas la peine de prendre son rap pour argent comptant. Pour celui qui « rêve d’être président pour se suicider au grand écran » l’ambition est là, mais polluée par les désillusions, comme dans le morceau « Promesses ». Tout ça c’est du cinéma, pour Vald. Son rap ressemble presque à un journal intime déguisé. Un carnet de bord qui ne fige rien et qui préfère les humains à l’humanité et les fables à la morale, comme dans l’ultime morceau « Ogre ». En voyant ce mec s’amuser autant avec les mots, on trouve dans sa musique de quoi retirer le ridicule des discours bourgeois tournant autour du rap. C’est déjà ça de pris.
Mardi
Retour à la capitale des 3 gaules, matin, midi et soir. En vidant le sable de mes affaires, je retombe sur la pochette de NQNT2. Je me dis qu’au final on aime cet album parce qu’il ressemble à la vie de tous les jours. Il a des côtés mal foutus, des rechutes incongrues un peu obsessionnelles. NQNT2 c’est du Vald, voilà tout. Reconnaissable aux coups de patte comme aux coups de gueule. Incarnation vivante du flow servie par une écriture à la tension élastique. Avec une façon d’être soi et l’autre en même temps.
À 22 ans, Vald est déjà un rappeur de l’écart, nullement tenu d’hurler avec la meute. Et quand l’auteur de « Autiste » se trompe même de date de sortie dans un « freestyle » promo on se dit que c’est quand même plutôt bon signe quand à sa santé mentale finalement. Même si un mec qui écrit qu’il n’y a « que les clochards et l’cul de Beyoncé qui ne se troquent pas » aurait sans doute, lui aussi, besoin de vacances.