Le Wu-Tang ne rugit plus. Entre Ghostface Killah qui clashe Action Bronson, l’album Once Upon a Time in Shaolin qui sortira dans 88 ans ou un RZA critiqué de toutes parts et qui a bien du mal à assumer son statut de leader, la carrière d’un des plus grands groupes de l’histoire semble s’éteindre. Leur concert au Zénith en juillet dernier semble en être le symbole, la moitié du groupe étant absent. Comment le Wu a pu passer du statut de C.R.E.A.M de la crème des 90’s à celui de groupe fantomatique ? Décryptage d’une mort prévisible.
Paris, 5 juillet 2015. Alex attend ce moment avec impatience, lui qui, quatre mois auparavant, rafraîchissait sa page Chrome en matraquant la touche F5 de son clavier dans l’espoir d’obtenir une place pour le concert au Zénith du Wu-Tang. Modique somme de cinquante euros dépensée, il rentre enfin dans la salle après une fouille au corps plus que virile. Bien sûr, il est venu avec des potes qui écoutent du rap. Léonard est un ancien, il connaît ses classiques, il a conscience que le Wu n’est plus le même mais il espère juste vibrer sur « Can’t It Be All So Simple » ou « Protect Ya Neck ». Surprise, en arrivant, le Wu n’est pas au complet. Alex ne peut cacher sa déception devant l’absence d’RZA, Method Man, Raekwon et GFK. Dans l’euphorie, il n’a vu le mot qui précisait l’information à l’entrée de la salle. Celle-ci est moitié à vide comme le verre qu’il a jeté en direction d’Inspectah Deck avant de se faire virer par les gorilles du Wu. On aurait pu en rester là, mais la prestation du reste du Clan fut médiocre avec un son saturé couplé à des basses trop fortes. Une mise en abîme de ce qui reste d’un des plus grands groupes de rap de tous les temps. Autant se l’avouer, le Wu-Tang n’est plus le même et ça depuis un petit moment.
Can’t it be all so simple ?
Le Wu-Tang n’en est pas à sa première crise. Le groupe existe toujours officiellement mais officieusement, c’est une tout autre histoire. Cette quasi fin, annoncée par RZA lui-même, semble avoir été écrite. Il y a une quinzaine d’années le groupe traversait déjà une crise semblable à celle d’un adolescent boutonneux à l’âge ingrat. Après le succès de 36 Chambers, les membres du groupe symbolisant le plus le New York des 90’s se lançaient dans des carrières solos plus ou moins couronnées de succès. Pour un Method Man ou un Raekwon caracolant en tête des ventes, des U-God ou autre Inspecta Deck attendaient leur à l’ombre des disques d’or. Jalousie, tensions, guerre d’égos : la réunion fut salvatrice en 1997 sur Wu-Tang Forever, le titre « Reunited » marquant surement l’apogée du groupe.
Puis, deuxième vague d’albums solos, à l’aube de l’an 2000, et le Wu-Tang doit encore une fois se « réunir » après moult rumeurs de séparation. The W, leur troisième album, se classera en tête des charts mais le chemin fut aussi long qu’une randonnée en déambulateur. ODB, incarcéré, posera son couplet à travers le téléphone de la prison fédérale. La réunion des membres a été difficile, chacun se préoccupant plus de sa carrière solo que de l’intérêt collectif. En réalité, elle semble être plus le fruit des maisons de disques que des membres eux-mêmes, la volonté de faire des lovés primant sur la volonté tout court. Les fans, eux, sont de plus en plus déçus. Ils ne digèrent pas certains morceaux en featuring avec d’autres artistes extérieurs au Clan. Oui Alex, calme toi, le duo Raekwon / Justin Bieber, sorti en 2011, n’était sans doute dû qu’à une erreur de casting.
En réalité, les membres du Wu s’éclataient plus en solo, à l’image de RZA et sa triple carrière sous le nom de Bobby Digital ou au sein de Gravediggaz. On peut aussi évoquer la fabuleuse complicité entre Method Man et Redman, qui ont accouché de plusieurs projets en commun et qui partent régulièrement en tournée, pour le plus grand bonheur des potheads. Ghostface Killah, qui n’a jamais été avare de commentaires acides envers RZA, semble quant à lui avoir grimpé dans la hiérarchie interne du Wu alors qu’il n’était qu’un sparring spartner de choix pour Raekwon dans les années 90.
Avec la mort d’ODB en 2004, le Wu-Tang perd bien plus que l’un de ses membres. Il perd son liant, sa dernière raison de vivre. Non, ODB n’était pas la pierre angulaire du Wu. Mais son décès porte l’ultime coup qui fera exploser tout l’équilibre du collectif. RZA, critiqué de toutes parts, se retrouvera de nombreuses fois au centre des polémiques. Raekwon allant même faire un album Shaolin vs Wu-Tang en 2011 avec d’autres membres, en totale opposition au leader RZA et ses choix artistiques. Passons rapidement sur la collaboration éphémère de RZA avec le bassiste de System of a Down ou encore ses délires de réalisateur. Oui, certains se sont refait la cerise avec leurs carrières d’acteurs, de How High ou The Wire pour Method Man à Repo Men, GI Joe la fantastique collaboration avec le réalisateur Jim Jarmusch pour RZA. « Pas de quoi redorer le blason de l’écurie pour autant », nous souffle Alex dans l’oreille. Et il n’a pas tort : en termes d’emceeing, la plupart des membres sont cramés, bien loin de leur niveau des années 90. En 2014, Ghostface Killah s’en est plutôt bien sorti avec son 36 Seasons et sa collaboration avec le trio de jazzistes BADBADNOTGOOD, mais n’a pas fait l’unanimité, notamment via des lives pas tout le temps très justes. Puis viens sont pathétique beef avec Action Bronson. Sans commentaire.
wu-tang for ever ?
Tu sais Alex, peut-être que le problème avec le Clan, c’est qu’ils n’étaient pas forcément destinés à faire carrière ensemble. Après leur premier succès, tous se sont lancés en solos avec en train, comme si c’était leur envie depuis le départ. Tous avaient alors un contrat différent, un manager personnel, un tourneur. RZA reconnait lui-même qu’il fut très difficile de réunir le crew à cause de la complexité des contrats. Osons une petite comparaison entre le Clan et la Mafia K’Fry : une bande de potes, certains avec plus de succès que d’autres, qui sortent un album commun une fois de temps en temps avec d’énormes difficultés d’organisations. Autre aspect du Wu, leurs nombreux artistes satellites et autres affiliates, tels que les Killarmy, qu’ils ont voulu prendre sous leurs ailes. Au final, qui a réellement percé ? Qui se rappelle encore de Sunz of Man, Killah Priest ou encore Remedy, seul membre blanc de la dynastie Wu ? Cette division et multiplication d’un essaim de rappeurs n’a-t-elle pas été préjudiciable pour la maison mère ?
Quand A Better Tomorrow, dernier né des rappeurs de Staten Island, sort en décembre 2014, l’histoire se répète comme un cauchemar tournant en boucle. Une histoire de gros sous et de dissensions à l’intérieur du groupe ont bloqué le développement de l’album. Raekwon a d’abord refusé de participer, puis s’est finalement réconcilié avec RZA, principal producteur du disque. Le son reste bon : on y retrouve la verve du Wu-Tang. Pourtant l’album, n’est pas reconnu par la critique ou les fans. Un meilleur lendemain, vraiment ? Pas si sûr, vu la réaction de certains membre – Method Man en tête de liste – suite à l’annonce délirante faite par RZA selon laquelle Once Upon a time a Shaolin, qui a été tiré à un exemplaire unique enfermé dans un écrin au Maroc, ne sortira officiellement qu’en 2103. Certaines rumeurs ont affirmé que Skrillex l’aurait acheté pour plusieurs millions de dollars – ce dernier a démenti depuis. En tout cas, pas sûr qu’on soit encore là pour en faire une review. Et puis, à moins de cryogéniser le crew, ce qui resterait du Wu d’ici là ferait sans doute peine à voir.
Alex, tu as raison d’être déçu. On aime tout autant que toi le groupe new-yorkais mais le problème avec le Wu, c’est qu’ils essayent de prolonger un rêve qui s’est terminé il y a déjà bien des matins. Comme quand tu te lèves et que tu te rappelles avec nostalgie de ce rêve érotique que tu as fait la veille. Tu refermes les yeux et tu essayes encore d’y croire. Mais soies lucide, Alex, le Wu c’est fini depuis 2004, au mieux. Certains disent même 98, année où tu fêtais sans doute la victoire de l’équipe de France de foot en écoutant Gloria Gaynor. Will Wu-Tang survive ?
Tâchons de conclure sur une note de sagesse : le monde chinois est cyclique, tout doit revenir à un état initial. Alors faisons preuve de patience, comme les traditions bouddhistes nous l’enseignent. Il faut du Yin pour aller avec le Yang. Sinon, mon cher Alex, si ton père est millionnaire, tu peux acheter une certaine galette enfouie dans un souk de Casablanca. Et nous la faire partager.